Reprenons
l'analyse des principaux courants théoriques de la communication là où nous
l'avions laissé à notre dernière rencontre.
L'apport de Shannon et Weaver à
l'étude de la communication en est un de taille qui aura servie aux prochains
théoriciens comme fondation pour la construction de leurs travaux. Shannon et
Weaver sont parmi les premiers à offrir une définition de la communication,
quoi que purement mathématique (Shannon, 1948). Suite aux travaux des
ingénieurs-mathématiciens, Mac Kay propose une nouvelle définition de
l'information: l'information est comprise par le récepteur selon l'état mental
dans lequel il est lorsqu'il reçoit le message (Mac Kay, 1969). Il suggère que
le contexte culturel de réception affecte l'interprétation et la signification
de l'information émise par l'émetteur. Toujours dans l'élan mathématique du
paradigme technologique, Mac Kay veut que les états mentaux soient
quantifiables et mesurables. Par contre, Mac Kay attribue une nouvelle
structure à l'information en lui conférant la notion de représentations. Selon
ce dernier, les états mentaux du récepteur mènent à une interprétation à deux
niveaux : comprendre l'information selon le monde vécu et comprendre
l'information selon un esprit subjectif (Mac Kay, 1969). C'est cette dernière
hypothèse qui inspire les prochains théoriciens de l'approche systémique.
La théorie des systèmes de Von
Bertalanffy inspire les prochains théoriciens des sciences sociales à définir
la communication en fonction des rapports communicationnels qui s'établissent à
l'intérieur d'un système fermé. Von Bertalanffy veut que l'interaction entre
les différents organites d'une système biologique s'organisent dans le but
d'accomplir une tâche fixe, soit le maintien de l'organisme dans un
environnement définit (Brauckmann, 1999). Dans le contexte d'analyse de la
communication, le systémisme est une approche qui dépend de la présence et de
la nature de l'information comprise dans un système, de l'impact de son entrée
à partir de l'environnement et de sa sortie dans l'environnement, ainsi que du
maintien d'un équilibre homéostatique à l'intérieur du système. Chaque
information contribue à la communication, mais le rapport entre les
informations donne la signification au message qui est transmis par l'émetteur.
Parallèlement au mouvement
systémique, le concept de la cybernétique se développe en période d'après-guerre
mondiale. Norbert Wiener cherche à définir un nouveau modèle d'organisation
sociale afin d'éviter à nouveau les barbaries de la guerre. Il ajoute la notion
de rétroaction au modèle télégraphique de Shannon et Weaver. Il développe la
science de l'autorégulation d'un être (machine ou humain) selon l'échange
d'informations. Selon les messages qu'elle reçoit, la machine rectifie son
signal et crée de l'ordre dans la communication. La machine devient, avec
Wiener, un être comportemental comme l'humain (Lafontaine, 2003, p. 206).
Lasswell propose ensuite son
modèle linéaire de la communication qui propose de décrire le phénomène de la communication
par des questions: Qui dit quoi à qui
avec quels effets et par quels moyens? (Communication Theory, 2010) En disséquant
la question en ses sous-parties, Lasswell permet l'analyse approfondie des
agents de la communication selon leur motivation à communiquer; l'analyse du
contenu du message en adoptant des méthodologies quantitatives et/ou
qualitatives; l'analyse du canal de diffusion en prenant en considération les
techniques de diffusion utilisées influencées par leur environnement à un moment
donné; et il propose l'analyse de la finalité et des effets de la
communication. Comme tous les autres modèles, celui de Lasswell comporte des
limites dont l'absence de rétroaction. Il s'apparente également au paradigme
behavioriste selon lequel il est possible de mesurer les effets de l'intention
de l'émetteur sur le comportement du récepteur. La communication est donc
perçue comme une relation autoritaire.
En continuité avec les travaux
de Lasswell, Lazarsfeld développe son analyse psychosociale des effets des
médias sur les récepteurs. Selon le paradigme positiviste instrumental,
Lazarsfeld développe sa théorie des effets limités des médias selon une
typologie de ces effets (Lazarsfeld, 1948). Avec son étudiant Katz, il
développe la théorie du two-step flow selon laquelle l'interprétation que se
fait le grand public des messages médiatiques et influencée par des intermédiaires.
Ces intermédiaires, des leaders d'opinion relevant de l'environnement social de
l'individu, prennent part au réseau de communication et peuvent exercer une
influence sur la sélectivité et l'interprétation des messages médiatiques
diffusés. Katz analyse attentivement le travail de Lazarsfeld et finit par le
critique dans le cadre du paradigme institutionnel. Selon Katz, les médias sont
des producteurs d'information, d'agenda et d'"espace public" qui ne
peuvent être analysés comme un comportement collectif global (Katz, 1987).
Comme les théoriciens de l'approche systémique le proposait, Katz suggère
d'enrichir la théorie de Lazarsfeld en étudiant les effets combinés des
interactions des composantes d'une institution, telle que la famille, l'école,
les amis, les syndicats de travail et la politique (1987). Ainsi, le paradigme
institutionnel donne naissance à la théorie de l'Agenda-setting de McCombs et
Shaw (1972). Les médias construisent une réalité qui mène à la construction de
l'identité des récepteurs, c'est-à-dire qu'ils forment et définissent les
mécanismes de socialisation des individus selon le choix du contenu qu'ils
diffusent. En analysant les effets des médias selon l'apport de différentes
institutions, telle que la politique, dans la vie des récepteurs permet de
saisir la complexité des réseaux à l'intérieur du contexte macrosociologique.
Le paradigme critique de l'École
de Frankfurt cherche à se distancier des analyses fondées sur la rationalité.
Les chercheurs de cette école critiquent la vision de Popper et de son analyse
de la société en tant qu'objet naturel. Les théoriciens du paradigme critique refusent
le pouvoir oppressif de la rationalité qui a été marchandé à l'intérieur des rapports
sociaux établis et influencés par les médias. Selon l'École de Frankfurt,
l'observateur de la société doit être engagé de manière critique dans le
développement de celle-ci. La neutralité de l'observateur devant la société
peut mener à son isolement et à un effet encore plus puissant des médias de
masse, ainsi il faut se conscientiser pour se libérer des griffes de la société
de masse sans chercher à trouver la vérité absolue. Les chercheurs de cette
école rejette le statut quo des théories sociales proposées préalablement
(Frankfurt School, 2011). Enfin, Habermas poursuit la réflexion en maintenant
le concept de la rationalité dans l'élaboration de sa théorie sur les espaces
publics. Dans la société postmoderniste, la technologie mène à la création
d'espaces publics virtuels dans lesquels il est nécessaire pour le récepteur de
messages d'apprendre à penser librement. Ainsi, la raison mène à la libération
de la pensée dans le cadre d'un espace défini, un espace qui permet de
pratiquer les règles de la raison de manière publique et qui permet
l'épanouissement individuel et personnel lors d'usage privé (Habermas, 1989).
Les TIC, une bestiole virtuelle qui s'infiltre dans notre intimité
Les TIC, une bestiole virtuelle qui s'infiltre dans notre intimité
Le texte de Céline
Lafontaine, "Nouvelles technologies et subjectivité : les frontières
renversées de l'intimité" offre une analyse intéressante et contemporaine
de la cybernétique. Selon l'analyse de l'auteure, "Norbert Wiener,
développe un modèle d'organisation de la société basé exclusivement sur
l'échange d'information" (Lafontaine, 2003, p.206). De plus, la
cybernétique renforce le rôle des machines communicatrices dans la société en
les mettant au même niveau que les humains. Ainsi, le développement fulgurant, la
constante innovation et l'adoption de masse des technologies de l'information
et de la communication mènent au rétrécissement de l'intimité et de l'individualité
(p. 203).
La décision controversée d'une
femme d'accoucher et de diffuser en simultané son accouchement sur le web est
un exemple parfait pour provoquer la discussion et la réflexion sur
l'envahissement de l'espace intime par les technologies de la communication. Cette
jeune femme désirait partager son accouchement qu'elle a choisi de faire à la
maison, de manière naturelle et sans médicaments contre la douleur. Elle
souhaite encourager, rassurer et faire vivre cette aventure à celles qui
envisagent possiblement le même cheminement. Attention aux esprits sensibles: http://www.babycenter.com/2_live-birth-natural_3656508.bc.
L'acte de donner la vie à son enfant est un moment précieux qui relève d'un
haut niveau d'intimité. L'implantation et l'omniprésence de la technologie dans
nos vies érodent les limites que nous nous étions auparavant fixées. Voici un autre
exemple similaire, où une bloggeuse discute d'une artiste qui dédit sa nouvelle
exhibition à son accouchement: http://www.thedailybeast.com/articles/2011/10/17/birth-performance-art-marni-kotak-other-moms-who-share-all.html.
Bref, nous sommes rendues bien loin de l'époque où les médecins empêchaient le
père de l'enfant de participer à la naissance de sa progéniture!
Les visites chez le médecin sont
des moments devenus privilégiés et trop souvent limités par les restrictions
financières des institutions publiques. Les technologies de l'information et de
la communication se développent de manière parfois consternante dans le milieu
de la santé. Ces technologies ont pour but : de mieux servir les patients, de
diminuer les coûts, d'alléger les horaires des médecins, de renforcer les liens
communicationnels entre les professionnels de la santé et leurs
patients-clients, d'impliquer les patients dans leur santé en encourageant leur
proactivité et leur autonomisation. Mais jusqu'où ira la technologie?
Enfin, combien d'entre nous (moi
y compris) réussissent à se passer de l'Internet ou encore pire, de son
cellulaire pour plus de 4 heures (et je suis généreuse dans le temps). Nous
sommes devenus dépendants de la technologie au point où nous amenons nos
gadgets partout où nous allons. Combien d'entre nous, allons jusqu'à dormir
avec son cellulaire? Je l'avoue! Il y a de ces soirs où je cache le mien sous
mon oreiller! N'est-ce pas là une entrave majeure à mon intimité? Le texte de Céline
Lafontaine est succulent! Il provoque la réflexion et remet en contexte l'évolution
et l'adoption de la nouvelle technologie en situant le phénomène dans son
contexte théorique. Il ne va sans dire que l'étude de la communication, mais
surtout l'analyse de l'effet des médias et plus récemment des technologies de
l'information et des communications est fondamentale dans le contexte actuel de
notre société. Nous en sommes à l'ère de l'information et de l'intelligence
collective. Il est essentiel de prendre un recul de temps à autre, question de
reprendre son souffle et de se détacher d'une société informatisée pour
profiter des petits plaisirs de la vie dans la chaleur de notre intimité
personnelle.
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