mercredi 30 novembre 2011

Après l'École de Palo Alto, la sémiotique et la rhétorique de l'image

Notre dernière analyse des grandes théories de la communication de l'année 2011 nous permettra de poser un regard critique sur les travaux de Hall, de Bateson et de Watzlawick, ainsi que ceux relevant du paradigme pragmatique, soient les travaux de De Saussure, de Lévi-Strauss (et de Jakobson) et finalement  de Barthes.

L'école de Palo Alto
L'école de pensée de Palo Alto cherche à décrire de façon systémique les phénomènes de communication. Les travaux des auteurs de cette école tentent de décrire les relations humaines selon les interactions entre les éléments d'un système de communication. Ainsi, les éléments au coeur d'un système de communication sont régulés par les limites du système. Les travaux de l'anthropologue, Edward T. Hall, peuvent ici renforcer cette idée d'analyse descriptive. Hall souligne que comme les animaux,
"L'homme lui aussi observe des distances uniformes dans les rapports qu'il entretient avec ses semblables." (1971, p. 143)
Les travaux empiriques de Hall ont mené à une liste de quatre distances sociales chez l'homme : la distance intime, la distance personnelle, la distance sociale et la distance publique (Hall, 1971). Cette analyse devient donc un élément théorique contribuant aux premiers travaux descriptifs des chercheurs de l'école de Palo Alto. Par exemple, la distance intime observée entre deux êtres peut justifier la présence d'un lien amoureux. Selon Hall, en situation d'intimité, "la vision, l'odeur et la chaleur du corps de l'autre, le rythme de sa respiration, l'odeur et le souffle de son haleine" sont tous des éléments qui communiquent un désir charnel entre deux amoureux (1971, p. 147).


Paul Watzlawick
Les orientations théorique des auteurs de cette école changent tranquillement pour focaliser leurs travaux sur la définition d'une science générale du fonctionnement de la pensée. Ils espèrent en définissant cette science pouvoir amener des changements comportementaux par l'ajout d'information à un système de communication problématique. C'est ainsi que Bateson définit les éléments clés de sa théorie de la communication. Il manque par contre de raisonnement critique pour établir les liens structuraux entre les éléments de sa théorie, chose que complètera Watzlawick. Les travaux de ses auteurs dégagent cinq axiomes de la communication :
  1. On ne peut pas ne pas communiquer - la communication est inévitable.
    1. Ex. Les vêtements que nous choisissons de porter sont un reflet de nos intentions du jour. Si nous devons nous présenter en entrevue professionnelle, notre code vestimentaires le reflètera.
  2. La métacommunication - permet deux niveaux à la communication : le contenu et la relation, qui sont d'ailleurs en relation.
    1. Nous orientons le contenu de notre discussion selon la relation que nous avons avec notre interlocuteur. Nous parlerons de mécanique automobile avec notre garagiste, mais pas nécessairement de conseils de nutrition.
  3. La communication est ponctuée selon une séquence d'interaction - la relation est définie selon les séquences imposées par les interlocuteurs.
    1. Ex. Nous ponctuons nos conversations de silences, de respires, de soupirs.
  4. La communication présente une dualité : analogique (sémantique) et numérique (code) - l'aspect numérique établit le code commun pour la communication, alors que l'analogique permet de révéler le sens du code.
    1. Ex. Les ordinateurs interprètent un code binaire (numérique) qui est traduit en différentes fonctions (analogiques) d'un logiciel que nous comprenons et que nous utilisons.
  5. La symétrie des interactions - les échanges peuvent être symétriques ou complémentaires entre les interlocuteurs.
    1. Ex. Le patron d'une grande entreprise s'adresse à son employé de soutien, le ton autoritaire du patron établit une hiérarchie dans la communication et rend l'échange inégal. 
Enfin, cette école de pensée enrichit l'étude de la communication en ce qu'elle permet une analyse du rapport interpersonnel qui s'établit entre les interlocuteurs en condition de coprésence. Beaucoup utilisé en milieu de thérapie, cette école de pensée permet de conceptualiser les systèmes de communication dans leur contexte socio-culturel et d'y faire entrer de nouveaux horizons de sens afin de modifier les interactions entre les éléments de ces systèmes.

Le pragmatisme, un paradigme épistémologique
Le paradigme pragmatique repose sur l'étude du langage à titre de code de communication. Il cherche à établir une méthode afin d'assurer l'efficacité dans les prises de décision. Il s'agit d'un paradigme avec une emprise très pratique du langage. Il faut structurer et organiser le langage. Selon Austin, la pragmatique est fondée sur trois concepts clés : la notion d'acte, la notion de contexte et la notion de désambiguïsation (1962). Avec le tournant linguistique, Austin élabore sa théorie des actes du langage, selon laquelle le langage est ce qui permet les actions, l'individu devient un intermédiaire entre le langage et l'action. Le langage a deux dimensions : la dimension performative qui permet l'exécution d'une action et la dimension affirmative qui est plutôt descriptive (Austin, 1962). Enfin, les trois actes de langage distincts sont :
  1. L'acte locutoire : acte de dire les mots .
  2. L'acte illocutoire : acte accomplit en disant les mots.
  3. L'acte perlocutoire : les effets déterminés par l'action sur l'interlocuteur.
La principale critique du paradigme pragmatique est l'évacuation du principe de la vérité. Les travaux d'Austin restent de nature plutôt abstraite. Il se contente de définir la forme générale des actes de langage sans considération concrète dans le fonctionnement sociétal. C'est avec Habermas, que la pragmatique prend une valeur plus universelle et permet une compréhension mutuelle qui est dégagée par le langage selon le contexte socio-culturel.

Le structuralisme
Faisant suite au pragmatisme, le structuralisme est également une école théorique intimement liée au langage, mais plus particulièrement à la sémiotique (ou la sémiologie). Les fervents de cette école de pensée souhaitent établir une science générale du langage à titre de système structurant de la société. Ainsi, le langage est un code de communication qui établit la structure des institutions sociales. Ferdinand De Saussure propose premièrement que le signe est la plus petite unité significative, chose que réfutera les auteurs ultérieurs. Les travaux de Claude Lévi-Strauss, fervent défenseur du structuralisme, permettent d'établir la maxime suivante :
La société est fondée sur la culture; la culture se ramène quant à elle à des phénomènes de nature symbolique, alors que le symbole est d'origine linguistique. (Notes de cours, 2011)
Claude Lévi-Strauss
Par cet énoncé, Lévi-Strauss converti son étude ethnologique en travail sémiotique. Parce que le symbole culturel est un code traduit en langage, la société est ainsi structurée par le langage. Lévi-Strauss tente de dégager les lois de la pensée inconsciente (travail du psychanalyste Freud) afin de libérer l'homme de la science de son parfait ennemi, sa conscience. L'inconscience affecte la construction de sens parce qu'elle permet des interprétations secondaires qui sont inconnues et inaccessibles par la société. Ainsi, pour atteindre l'objectivité, Lévi-Strauss croit nécessaire de dégager les éléments de l'inconscient.
Bref, en contexte d'analyse de la communication, le structuralisme propose que la communication est ce qui relie les systèmes de signes et leur analyse structurale. Les conditions de la communication dans ce cadre théorique sont la circulation des signes (leur échange afin de pouvoir communiquer) et leur transmission dans des conditions satisfaisantes (cette idée renvoie à la théorie mathématique de Shannon et Weaver). Enfin, certaines conditions sont nécessaires pour le code (Notes de cours, 2011).
  • Le code doit précéder le message. Le code restreint ses utilisations puisqu'il n'est pas flexible, il possède des modalités prédéfinies.
  • Le code est indépendant du message. La valeur d'un message est mesurable, il ne peut pas être imprévu puisqu'il n'existe que deux compréhensions possibles : la valeur du oui et la valeur du non.
  • Le code est indépendant de l'émetteur. Une fois que le code est émis, il est indépendant de son émetteur. C'est le récepteur qui a la tâche de l'interpréter selon ses connaissances du code.
Ainsi, le structuralisme privilégie le travail intellectuel du destinataire dans l'émission de message, par contre il évacue l'aspect sémantique dans la transmission de message par l'émetteur. L'émetteur est restreint dans l'émission de son message par un code qui peut être qualifié comme binaire. Enfin, nous conclurons notre analyse de la sémiotique en énumérant les trois thèses principales de la sémiotique, soient :
  1. Le signifiant précède le signifié. Le message est donc définit par les limites et les possibilités d'un code. Ex. L'expression OMG est un acronyme restreint par son code alphabétique. Avant d'avoir une signification culturelle, cet acronyme est fait de trois lettres.
  2. Le sens surgit du non-sens. Le signifiant puise son sens dans son contexte culturel. Il n'a pas de sens à l'extérieur de son contexte. Ex. Quelqu'un ne connaissant pas l'acronyme OMG lira les trois lettres O-M-G sans comprendre sa valeur culturelle. Par contre, quelqu'un qui est familier avec l'acronyme, lira l'expression "Oh My God!".
  3. Le sujet se soumet à la loi du signifiant. Le destinataire du code interprète l'objet selon la signification qu'il lui connaît, ainsi il établir le rapport entre le locuteur et le système du signifiant.
Roland Barthes
La rhétorique de l'image
Roland Barthes croit que le code visuel peut s'analyser à partir des éléments structuraux établis par le langage. Il postule dans son article La Rhétorique de l'image :
"Même et surtout si l'image est d'une certaine façon limite du sens, c'est à une véritable ontologie de la signification qu'elle permet de revenir." (Barthes, 1964)
Selon Barthes, le message publicitaire s'interprète par un rapport triadique entre trois messages : le message linguistique, le message iconique codé (ou message symbolique) et le message iconique non codé (ou message littéral) (1964). Le message linguistique est celui formé par le texte de l'image publicitaire. Ce texte sert de guide à l'interprétation de la signification de l'image. Dans une image fixe, il joue un rôle d'ancrage et guide l'interprétation de l'image dans un cadre défini. Le message iconique codé est la connotation de l'image, c'est l'image qui est signifiante. Elle est un signe qui renvoie à un objet du réel. Enfin, le message iconique non codé est la dénotation de l'image. C'est-à-dire que le message littéral est un message sans code qui appuie l'interprétation de l'image signifiante dans le sens où il lui accorde une signification plutôt culturelle.

Les travaux de Barthes sont importants dans l'analyse du discours médiatique puisqu'ils établissent le lien entre la connotation et l'idéologie médiatique. Ainsi, le message des médias est un message symbolique empreint d'idéologie. Depuis le début de notre réflexion critique, nous concrétisons la nécessité de cadrer notre interprétation des messages médiatiques dans un contexte intellectuel. La force de séduction de l'idéologie médiatique peut être amoindrie par la définition des cadres théoriques des grands auteurs de la communication. Bref, le message symbolique proposé par les médias doit être accompagné d'un message littéral définit par les cadres analytiques de la communication de masse.

Étude de cas : Facebook
Brièvement, si nous appliquons la théorie de Barthes au média social Facebook, nous remarquerons l'importance de ce rapport dans la formulation de notre interprétation d'un usager du médium à partir du choix de son image de profil. Ainsi, nous avons identifier trois messages nécessaires et complémentaires à l'interprétation du message médiatique : le message linguistique, le message symbolique et le message littéral.
  • L'image de profil choisie est le message symbolique, c'est-à-dire qu'elle renvoie à un objet ou à un individu, elle est le signifiant de l'objet photographié. Par exemple, un usager de Facebook affiche une photo de paysage comme image de profil.
  • L'option d'ajouter un commentaire pour accompagner l'image permet à l'usager d'ancrer l'interprétation qu'un visiteur de sa page fera de son image. Si l'image est un paysage, l'usager pourra préciser qu'il s'agit d'une photographie prise lors d'un voyage dans un lieu particulier. Ce message linguistique vient donc renforcer l'interprétation qu'un visiteur se faisait. À titre de visiteur, nous aurions pu déduire qu'il s'agissait d'une photographie prise lors d'un voyage, sans connaître lieu de visite. C'est en lisant le commentaire, que nous aurions confirmé notre interprétation.
  • Enfin, le message littéral provient de la dénotation de l'image, l'image présente un message supplémentaire sans code. C'est-à-dire que notre relation avec l'usager Facebook peut compléter notre impression de son image de profil. S'il s'agit d'un bon ami à nous qui est également amateur de photographie, nous attribuerions à cet image une valeur ajoutée rattachée à l'intérêt et au talent de notre ami qui se développe. Le fait que cet usager soit photographe n'est pas connu de tous les visiteurs possibles de son profil. Un autre visiteur du profil de cet usager peut voir un tout autre message littéral dans la photographie. Par exemple, si ce visiteur part en voyage et que sa prochaine destination est celle qui est photographiée, il verra dans cette image, s'il l'apprécie, une confirmation qu'il a fait un bon choix.

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Sources

  • Austin, J. L. (1962) Quand dire c'est Faire, tr. fr. 1979, Paris : Le Seuil, 202 p.
  • Barthes, Rolland. (1964). "Rhétorique de l'image", Communications, No.4.
  • Breton, Philippe et Serge Proulx. (2002). "La communication entre idéologie, utopie et nouvelles reliogisités" dans L'explosion de la communication, pp. 309-333.
  • Chapuis, Odile et Michel Gauthier. (1975). "Structures de communication à l'intérieur des groupes", Langue française, No.26, pp. 74-92.
  • Eco, Umberto. (1985). "Le lecteur modèle", Lector in fabula ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris : Grasset, pp. 64-86
  • Eco, Umberto. (1997). "Innovation et répétition : entre esthétiques moderne et post-moderne", Sociologie de la communication, Vol.1(1), pp. 131-148.
  • Hall, Edward T. (1971). "Les distances chez l'homme", La dimension cachée, Paris : Le Seuil, pp. 143-160.
  • Laulan, Anne-Marie. (1984). "L'école de Palo Alto" dans Marc, E. et D. Picard Communication et langages, No. 59, p. 120.
  • Mattelart, Armand. (2006). "L'émergence du paradigme techno-informationnel" dans Histoire de la société de l'information, pp. 30-46.
  • Quéré, Louis. (1991). "D'un modèle épistémologique de la communication à un modèle praxéologique", Réseaux, Vol.9(46-47), pp. 69-90.
  • Watzlawick, Paul. (1980). "Le langage d'injonction. Les prescriptions de comportement", Le langage du changement : éléments de communication thérapeutique, Paris : Le Seuil, pp. 133-143.